Fenêtre sur le passé : Sentinelles à quatre pattes
Au début des années 60, le gouvernement canadien a accepté un rôle de frappe nucléaire pour ses escadrons de CF-104 Starfighter affectés à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) en Allemagne de l’Ouest. L'Aviation royale canadienne (ARC) remplirait cette nouvelle mission avec des bombes thermonucléaires fournies par la United States Air Force (USAF).
La Police de l'air (AFP) a été chargée de mettre en œuvre des mesures de sécurité nucléaire strictes pour répondre aux normes de l'OTAN et de l'USAF. Les effectifs de l'AFP sont rapidement passés de 60 à plus de 190 personnes dans chacune des deux bases de l'ARC devant être équipées d'armes nucléaires : la 3e Escadre à Zweibrücken et la 4e Escadre à Baden-Soellingen. Pour assurer une sécurité adéquate pendant les périodes d'obscurité et de visibilité réduite en raison des conditions météorologiques, l'ARC a établi un programme de chiens sentinelles calqué sur la capacité canine de l'USAF.
En 1969, le Canada a quitté la base aérienne de Zweibrücken par mesure d'austérité à la suite de l'unification des Forces armées canadiennes un an plus tôt. Les unités nucléaires de la 3e Escadre et le personnel de sécurité de soutien ont été redistribués entre la Base des Forces canadiennes (BFC) Lahr et la BFC Baden-Soellingen. La BFC Lahr est ensuite devenue une base nucléaire pour une période d'un an avec sa propre section de chiens sentinelles.
Lors de l'unification, tout le personnel AFP a été incorporé dans le nouveau métier de la police militaire (PM). Les équipes de chiens sentinelles de la PM ont continué leurs fonctions de sécurité des armes nucléaires comme auparavant.
Le gouvernement canadien a choisi de mettre fin à son engagement de frappes nucléaires envers l'OTAN en 1971, et les dernières ogives nucléaires ont été retirées de la BFC Baden-Soellingen en janvier 1972. Sans un rôle de sécurité des armes nucléaires, il n'était pas nécessaire de conserver le programme de chiens sentinelles, et tous les chiens ont été renvoyés à l'USAF pour être réaffectés.
En septembre 1970, un article détaillé est publié dans Sentinelle (la revue des Forces canadiennes) expliquant le rôle des chiens sentinelles aux BFC Lahr et Baden-Soellingen. Cet article, qui fournit un récit fascinant de cette capacité historique de la police militaire, est diffusé dans son intégralité ci-dessous.[1] Veuillez noter que l'article utilise la terminologie « chiens de garde », bien que « chiens sentinelles » est une description plus précise basée sur la façon dont ils ont été employés par les Forces armées canadiennes.
Sentinelle : Revue des Forces canadiennes,
volume 6, numéro 8, septembre 1970
L'article suivant est paru aux pages 6 à 9 de cette édition :
volume 6, numéro 8, septembre 1970
L'article suivant est paru aux pages 6 à 9 de cette édition :
Sous une pluie battante, qui réduisait la visibilité à quelques yards [verges] seulement, le caporal de notre police militaire faisait sa ronde accompagné de son fidèle berger allemand. Seuls les éclairs illuminaient de temps à autre le secteur prohibé de la base de notre 1re Escadre, à Lahr, en Allemagne, et déchiraient brièvement le voile impénétrable de la nuit. Soudain, le chien dressa les oreilles et se raidit.
Le caporal n'avait rien vu ni entendu, mais le chien s'obstinait. Portant son attention sur quelque chose que son maitre ne repérait pas, il tirait sur sa laisse avec impatience. Forcé d'accélérer le pas, le policier le lâcha brusquement et la bête disparut dans la nuit. Quelques secondes plus tard, des cris de douleur et d'effroi parvinrent aux oreilles du caporal. Au pas de course, il se dirigea dans leur direction et aperçut un homme plaqué au sol par la bête. Le chien venait d'intercepter un intrus.
Soulignons immédiatement qu'il ne s'agit pas là d'un cas réel; mais, c'est ainsi que les choses se passeraient dans une telle éventualité.
Comme dans tous les autres camps militaires, on retrouve dans notre Groupe aérien des secteurs prohibés qui exigent une protection et des mesures de sécurité particulières. C'est pour défendre avec plus de certitude l'accès de ces secteurs aux personnes dont la présence n'y est pas autorisée que notre police militaire utilise des chiens de garde.
|
C'est en avril 1963 que notre élément air commença à se servir de chiens de garde. Dix-sept policiers de l'A.R.C. firent un stage de six semaines à l'Ecole de dressage des chiens de garde de l'Aéronautique militaire américaine, à Wiesbaden. A l'issue du cours, les policiers en question, accompagnés de dix-sept bergers allemands coûtant 350 dollars chacun, furent affectés à la base de l'A.R.C. de Zweibücken, oÙ l'on remarqua rapidement toute l'utilité des sentinelles à quatre pattes.
A l'heure actuelle, on retrouve de tels chiens et leurs maitres à Baden-Soellingen. Les maitres sont tous policiers militaires qui se sont portés volontaires pour ces fonctions très spécialisées. Ces hommes sont même particulièrement dévoués, car, étant toujours de service la nuit, ils ne peuvent participer que rarement aux soirées et bals comme le font les autres militaires.
L'équipe que forment le maitre-chien et son chien ne relâche jamais l'entrainement. Une fois par semaine, l'homme et sa bête participent à des exercices durant lesquels les bergers allemands prouvent bien que leur odorat porte à 250 yards, que leur sens de l'ouïe est vingt fois plus développé que celui de l'homme, et que leur acuité visuelle est dix fois plus grande. Même en pleine nuit, quand la noirceur est quasi totale, les chiens peuvent voir tout ce qui bouge à une distance étonnante. Si la chose qui attire leur attention reste stationnaire, ils doivent alors se fier à leur odorat ou à leur ouïe.
La partie la plus spectaculaire des exercices hebdomadaires est l'attaque. Un homme revêtu d'un gros vêtement capitonné se cache derrière une petite barricade en bois. Tenant son chien en laisse, l'entraineur se met alors à marcher dans le champ, sans toutefois se rapprocher de l'homme caché. Selon la direction et la force du vent, le chien assentit bientôt la voie. C'est alors qu'on observe une véritable transformation. Ses oreilles se dressent comme des antennes et il se met à marcher avec plus de détermination. Lorsqu'il est certain d'avoir relevé une piste, il commence à tirer sur sa laisse et force son maitre à accélérer le pas. Deux choses se produisent alors pour ainsi dire simultanément; le maitre lâche le chien et l'homme dissimulé se met à courir à travers champ. Mais, il a déjà perdu la partie.
Vif comme l'éclair, le chien se lance sur lui et enfonce les dents dans le vêtement. La force de la bête et la violence de son attaque suffisent pour renverser la plupart des hommes. Le policier arrive alors au pas de course et donne l'ordre au chien d'arrêter. Le maitre le fait reculer de dix pas et le fait asseoir. Puis, il fait semblant de fouiller l'intrus.
Aux fins de l'exercice, celui-ci attaque tout à coup le policier. La réaction du chien est instantanée. II se jette sur l'assaillant, saisit son bras dans sa gueule et l'immobilise. Une fois de plus, le policier intervient et ordonne au chien de se coucher.
Tout en étant entraînés à l'attaque, les chiens de garde ne sont pas méchants. Le sergent N. E. Mercer, responsable du chenil de Lahr, souligne qu'il ne pourrait accepter un chien méchant dans sa section, car un tel chien ne serait pas obéissant. Les chiens de garde sont agressifs; ils ne sont pas méchants. Un chien méchant est disposé à mordre n'importe qui à n'importe quel moment par pure méchanceté, alors qu'un chien agressif n'attaque que sur l'ordre de son maitre. C'est là une nuance dont se préoccupe peu l'intrus qui voit le chien foncer sur lui, mais elle est importante pour la sécurité des maitres-chiens.
|
Alors que le policier et son chien peuvent fort bien assurer la garde à eux seuls, ils ne sont cependant pas laissés tout à fait à leurs propres moyens. Chaque maitre-chien a un petit transmetteur portatif qui lui permet d'appeler de l'aide. Quand le chien relève une piste ou entend quelque chose, et qu'il veut se rendre compte de quoi il s'agit, le maitre-chien appelle le Contrôle de la Sécurité et demande qu'une section anti-sabotage (en anglais Sabotage Alert Team — SAT) se tienne prête au cas où il aurait besoin d'aide. Le cas échéant, des autos remplies de policiers militaires arriveraient sur les lieux en quelques instants.
De temps à autre, le chien donne l'éveil alors qu'il s'agit d'une personne autorisée à se trouver dans le secteur; un mécanicien effectuant des réparations à un avion la nuit, par exemple. Dans un tel cas, le maitre-chien permet à la bête de s'approcher suffisamment de l'homme pour le renifler. Le chien "identifie" ainsi l'homme en question et ne donne plus l'éveil quand la chose se reproduit.
Les chiens de garde se souviennent longtemps de leur maitre. Par exemple, le caporal Vern Majory et un berger allemand répondant au nom de Rolf firent équipe à Zweibrücken de 1964 à 1966, date à laquelle le caporal fut rapatrié. En 1968, Majory fut affecté à Baden-Soellingen. Ayant décidé un beau jour de visiter son ancienne unité, il en profita pour aller faire un tour dans le chenil et voir comment Rolf se portait. En dépit d'une absence de deux ans, le chien reconnut immédiatement le caporal et lui réserva un accueil particulièrement chaleureux.
|
Nos personnels responsables de la sécurité de nos bases sont d'avis qu'un maitre-chien et sa bête valent une patrouille de trois hommes. En utilisant des chiens de garde, nous pouvons donc assurer la protection des bases avec un personnel moins nombreux et, par voie de conséquence, réaliser des économies. La présence à ses côtés d'un allié aussi puissant que son chien offre également une plus grande tranquillité d'esprit à l'homme appelé à patrouiller des secteurs isolés. En dépit des barbelés, des moyens de communication rapides et des équipes volantes, le fidèle ami de l'homme peut encore jouer un rôle vital dans la protection de nos bases militaires outre-Atlantique.
Cet article peut également être consulté dans son format original en téléchargeant le fichier .pdf adjacent.
|
|
----------
Note : Ce qui précède est une reproduction d'un article intitulé « Sentinelles à quatre pattes » publié dans Sentinelle : Revue des Forces canadiennes, volume 6, numéro 8, septembre 1970, p. 6-9, pour lequel le MDN et les FAC conservent le droit d'auteur. Cette reproduction n'a pas été produite en affiliation avec le MDN ou les FAC ou avec leur approbation, mais elle est conforme aux lignes directrices pour une utilisation non commerciale, publiées à : https://www.canada.ca/fr/ministere-defense-nationale/organisation/propriete-intellectuelle/droit-auteur-couronne.html
Note : Ce qui précède est une reproduction d'un article intitulé « Sentinelles à quatre pattes » publié dans Sentinelle : Revue des Forces canadiennes, volume 6, numéro 8, septembre 1970, p. 6-9, pour lequel le MDN et les FAC conservent le droit d'auteur. Cette reproduction n'a pas été produite en affiliation avec le MDN ou les FAC ou avec leur approbation, mais elle est conforme aux lignes directrices pour une utilisation non commerciale, publiées à : https://www.canada.ca/fr/ministere-defense-nationale/organisation/propriete-intellectuelle/droit-auteur-couronne.html